« A (pas) voté ! »

7 juin 2009. Le Liban a voté, pouvait-on lire aux premières pages des journaux. Ce jour-là, je n’ai pas voté. L’idée de devoir entrer dans une salle de classe x et non y, pour y déposer mon bulletin, parce que j’étais de telle ou telle confession me rendait malade. Je ne l’ai bien sûr pas avoué à mes proches, tous sous l’emprise de la fièvre électorale. Il fallait voter. Choisir son camp. Il y allait du destin de la République, de la Nation et même de l’entité libanaise. Il y allait du futur de nos enfants. Comment ne pas voter contre tous ceux qui ont ruinés et endettés le pays, tout en se remplissant les poches ; ceux qui ont tué, massacré et réduit les Libanais à des réfugiés dans leur propre pays ? Comment ne pas voter contre ceux qui veulent transformer ce joyeux pays si tolérant, amoureux de la vie, en camp d’entraînement paramilitaire, voiler les femmes et pourfendre les libertés ? D’un côté : les suppôts du sionisme sournois, clients des ambassades et légations étrangères, corrupteurs et corrompus ; de l’autre : les exportateurs de révolutions théocratiques, petits napoléons à la mégalomanie galopante, museleurs de médias et coupeurs de mains. Comment ne pas aller voter ? Honte à ceux dont le pouce n’a pas été béni à l’encre mauve, la marque indiscutable du citoyen responsable. Il valait mieux garder ses mains dans ses poches, pour ne pas être vilipendé. Pendant 48 heures, j’ai porté le manque d’encre mauve comme une maladie honteuse.

Pourtant, il n’était pas question que j’accepte de rentrer dans les sous catégories dans lesquelles on nous a enfermé pendant si longtemps et qu’on nous oblige à porter comme autant d’étoiles jaunes. Que je sois Maronite, Orthodoxe, Chiite, Sunnite ou Druze ne regarde personne, surtout pas l’Etat et les institutions de la République. Je suis Libanais, un point c’est tout. Et tant que le système ne me reconnaîtra pas ce droit, je resterai loin de l’encre mauve.

De plus, ce 7 juin 2009, la majorité des Libanais qui ont voté, l’ont fait contre tel ou tel courant politique et non pour tel ou tel projet politique. Parce que malheureusement, la politique libanaise manque cruellement de réels projets de société. Le débat se limite, en réalité, à des slogans lancés à la face de l’adversaire, accusé de tous les maux dont souffre, a souffert et souffrira le pays. Tous les courants, mouvements et partis politiques se sont bien sûr empressés de présenter à leurs fidèles, en guise de programme, une série de grandes lignes directrices qui ne sont évidemment que des slogans fardés de sophisme. Tous feignant d’ignorer qu’un vrai programme n’est pas simplement ce qu’on veut faire, mais surtout comment on va le faire, combien ça va coûter et où trouver l’argent. Bref, les « programmes » des uns et des autres pourraient se résumer à cette formule enfantine, sinon infantile: « Hou les vilains, ils ont du poil aux pattes ! » Et ce n’est pas avec ça qu’on pourra construire un Etat au vrai sens du terme, renforcer les institutions républicaines et, en finalité, réformer la République.

Le plus ironique dans ces élections, c’est que bien qu’on ait changé de loi électorale, que les alliances ne sont plus les mêmes qu’en 2005, lors des dernières législatives, le résultat est presque identique. Et le nouveau Parlement est, à peu de choses près, le jumeau de l’ancien Parlement.

Quant au nouveau gouvernement, il ne reflète en rien le résultat des élections. Et beaucoup de ceux qui célébraient leur victoire à grand renfort de pétarades et klaxons, font aujourd’hui grise mine. Poliment sacrifiés sur l’autel de l’équilibre confessionnel du pays.

Finalement, le 7 juin 2009, j’ai bien fait de rester chez moi.

© Claude El Khal, 2009