Je vous salue Maryam, mère des Chrétiens et élue d’Allah


Bien qu’étant farouchement laïc et résolument agnostique, j’ai une tendresse particulière pour les fêtes religieuses qui célèbrent la Vierge Marie, comme l’Annonciation et L’Assomption - ou la fête de la Vierge, Eid el 3adra en arabe – parce qu’elles unissent Chrétiens et Musulmans, qui en ont bien besoin par les temps qui courent.

Malgré qu’ils se soient fait d’innombrables guerres, puis vécu ensemble pendant des siècles, Chrétiens et Musulmans ne savent pas grand chose de la religion de l'autre. Pas plus qu’une grande partie d’entre eux ne connait vraiment, ni ne comprend, les enseignements de leur Livre.

Combien sont Chrétiens ou Musulman par choix, par conviction ? Combien le sont-ils devenu après avoir étudié toutes les religions, lu tous les textes, réfléchi à toutes les prophéties, médité toutes les spiritualités ? Combien ont choisi le Christianisme ou l’Islam parce qu’ils ont été séduits ou convaincus par la mission de Jésus ou la révélation de Mohammad ?

La plupart sont Chrétien ou Musulman parce qu’ils ont sont nés comme ça. Ensuite ils le restent par tradition, par habitude. Chacun enfermé dans ses croyances, ignorant presque tout de la foi de l’autre. Mais l’ignorance engendre la méfiance, et la méfiance enfante souvent la haine.

Aujourd’hui, à l'heure où de nombreux pays arabes brûlent, à l'heure où le terrorisme islamiste frappe au hasard les uns et les autres, on nous reparle du choc des civilisations. Du monde judéo-chrétien qui serait en guerre contre le monde musulman. Ou inversement. La civilisation des uns face à celle des autres.

Mais c’est un mensonge, une effroyable supercherie. Ces guerres qui ensanglantent le monde ont si peu, ou pas du tout, à voir avec les religions. Et encore moins avec les civilisations qu’elles ont aidé à façonner.

Ce sont des guerres politiques, économiques. Ce sont des guerres pour le pétrole, pour le gaz, pour le fric. Ce sont des guerres d’influence entre puissances régionales et internationales. La religion n’est qu’un argument de vente, sans doute plus convaincant qu’un autre, pour faire avaler aux peuples ces guerres qui ne les regardent en rien et dont ils sont les premières victimes.

C’est pourquoi il est important, essentiel même, de rappeler que le Christianisme et l’Islam ont beaucoup plus en commun que leurs fidèles respectifs ne le pensent. Marie, la mère de Jésus, en est l’exemple le plus lumineux.

Marie – Maryam en arabe – est un figure fondamentale autant du Christianisme que de l’Islam. Pour les Chrétiens comme pour les Musulmans, elle est la mère du Messie – Massi7 en arabe –  dont la naissance virginale est contée dans le Nouveau Testament et dans le Coran.

En fait, le nom de Maryam est cité 34 fois dans le Coran, plus que dans le Nouveau Testament et bien plus que le nom du Prophète lui-même. Le livre saint de l’Islam lui consacre une sourate entière, la sourate 19 : Sourat Maryam.

Elle est sans doute la femme la plus importante de la tradition islamique : "Ô Marie, certes Allah t'a élue au-dessus des femmes de la création" (Coran 3:42). D’ailleurs quand Jésus est mentionné dans le Coran, il ne l'est pas toujours par son prénom Issa ou par son titre el-Massi7, mais comme Ibn Maryam – fils de Marie : "Et Nous fîmes du fils de Marie ainsi que de sa mère, un prodige" (Coran 23:50, 21:91)

Al-Azraqi, historien mécquois du 9ème siècle, auteur du "Livre des Chroniques de la Mecque" – Kitab Akhbar Makka al-Musharrafa – rapporte qu'après la prise de la ville par l'armée musulmane, quand le prophète Mohammad ordonna de purifier la Kaaba des idoles, il protégea de sa main un portrait de Marie et de Jésus : "Effacez toutes les peintures de ce mur, sauf celle-ci."

En cette fête de la Vierge, j’appelle les fidèles de deux religions à célébrer Maryam dans le lieu de culte de l’autre. J’appelle les Chrétiens à aller prier dans une mosquée, et les Musulmans dans une église. Pas de ces sorties médiatiques bien sûr, qui sont souvent hypocrites et démagogiques, où on se montre ouvert et tolérant pendant quelques minutes, avant de se refermer dès que les caméras sont parties. Mais une expérience personnelle, intime.

Aller à l’église ou à la mosquée du coin. Surtout ne pas cacher sa différence, son ignorance. Surtout ne pas prétendre. Et encore moins avoir peur de commettre une bévue. Se déclarer, dire aux fidèles présents : je suis Chrétien, je suis Musulman, je suis Chrétienne, je suis Musulmane, et je suis venu prier avec vous. Puis se laisser guider par eux ou par elles pour ensemble se recueillir, au nom de Marie, mère des Chrétiens et élue d’Allah.


© Claude El Khal, 2016