Saad et ses Judas


Ghattas Khoury, l’une des personnalités politiques les plus proches de Saad Hariri et sans doute son ministre le plus fidèle, a évoqué hier la trahison de certains alliés du chef du gouvernement libanais.

Il a tweeté une image de Judas embrassant Jésus, et a écrit : "J’offre ce tableau à celui que je considérais comme un ami !! Peut-être le guidera-t-il dans sa nouvelle mission". Ce message, aussi perfide qu'amer, aurait été destiné à Fares Souaid, ancien Secrétaire général du mouvement du 14 Mars et nouvel homme de main de l’Arabie Saoudite au Liban.




Des rumeurs de plus en plus insistantes – on ne peut pas encore parler objectivement d’informations – disent que des faucons 14marsistes, dont Fares Souaid serait le chef de file, auraient envoyé aux Saoudiens des rapports hostiles à Saad Hariri, pourtant chef de la majorité parlementaire issue du 14 Mars, le décrivant comme soumis au Hezbollah et à l’Iran, et recommandant son éloignement de la scène politique et son remplacement par un leader sunnite moins conciliant.

Le 4 novembre, le jour où Saad Hariri aurait été forcé de démissionner puis assigné à résidence, Fares Souaid – étrange coïncidence ! – a publié sur son compte Twitter une photo du tsar Nicholas II, accompagnée de cette phrase énigmatique : "Le tsar Nicholas II emprisonné, gardé par 3 soldats bolchéviques en 1917. C’est ainsi que se terminent les légendes politiques".




Le tweet de Fares Souaid pourrait être un indice que ces rumeurs ne sont pas si infondées. Bien qu’on fête cette année le centenaire de la Révolution d’octobre qui a renversé le tsar, montrer un dirigeant déchu, sous bonne garde, et évoquer des "légendes politiques" qui "se terminent", le jour même où Saad Hari est démissionné et placé en résidence surveillée, est beaucoup trop gros pour être le fruit du hasard.

C’est donc sur la base de rapports 14marsistes que l’Arabie Saoudite aurait franchi le Rubicon, démissionné le Premier ministre libanais et tenté de le remplacer par son frère aîné Bahaa à la tête de son propre parti, le Courant du Futur, et comme chef du gouvernement.

Contrairement à ce que les conjurés auraient affirmé aux Saoudiens, la famille Hariri sous la direction de Bahia, sœur de Rafic et tante de Saad, ainsi que les loyalistes au sein du Courant du Futur, parmi lesquels l’influant ministre de l’Intérieur Nohad Machnouk, ne se sont pas laissés faire et ont refusé ce mini coup de palais.

"Nous ne somme pas des moutons ou une parcelle de terrain pour être transférés d’un propriétaire à un autre", a déclaré sans ambages Nohad Machnouk.

Idem pour la classe politique. Les prétendus rapports auraient assuré qu’elle allait se déchirer, chaque partie profitant de la situation pour faire de la surenchère. Mais c’est l’inverse qui a eu lieu. Comme un seul homme, elle s’est rangée derrière le président de la République, Michel Aoun, dans son refus d’accepter la démission de Saad Hariri tant que ce dernier n’était pas rentré au Liban.

Quant aux Libanais, les conjurés auraient prophétisé la furie de la "rue sunnite" et son affrontement inévitable avec "la rue chiite". Mais là non plus les choses ne se sont pas passées comme prévu. La "rue sunnite", qu’on disait inféodée à l’Arabie Saoudite, a rejeté le diktat saoudien et donné aux Judas une belle leçon de patriotisme.

En finalité, au lieu de se diviser et de s’affronter, les Libanais sont restés unis et se sont solidarisés avec leur Premier ministre, et réclamé son retour immédiat.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que si complot il y avait, celui-ci a lamentablement échoué. Ce qui ne serait pas surprenant, vu les mauvais calculs et les paris ratés des faucons du 14 Mars depuis 2005. Des calculs et des paris qui ont transformé un immense mouvement populaire en clan minoritaire puis en conjuration factieuse.


© Claude El Khal, 2017