Alexandre Paulikevitch, le courage et la grâce


Je connais pas mal de gens qui savent faire preuve d’un courage exemplaire dans des situations exceptionnelles. Mais j’en connais très peu qui ont un courage de tous les jours, de tous les instants. Un courage extraordinaire dont je doute être moi-même capable. Parmi ceux-là, il y a Alexandre Paulikevitch. Qui est peut-être l’une des personnes que j’admire le plus, bien que je ne le lui ai jamais dit en face. J’ai parfois des pudeurs mal placées. Que voulez-vous, on ne se refait pas.

Alexandre Paulikevitch est Libanais, comme son nom ne l’indique pas. Et c’est un immense artiste. Un danseur inspiré, comme il y en a peu. C’est aussi un militant infatigable. Il est de tous les combats. Je ne me souviens pas d’une manifestation contre la corruption, contre l’injustice, toutes les injustices, pour le mariage civil, pour la laïcité, pour les droits des femmes, où il n’était pas parmi les premiers présents, drapeau libanais au poing. D’autres se seraient fait tout petits. Auraient rasé les murs. Pour éviter cancanage et qu’en-dira-t-on. Mais pas Alexandre. Parce qu’il est fier d’être lui-même. Et il a bien raison.





Alexandre Paulikevitch aime le Liban mais le Liban l’aime-t-il en retour? Je n’en suis pas si sûr. À chaque fois qu’il sort de chez lui, il doit essuyer moqueries et injures. Les mâles, les poilus, les velus, les torses bombés, les fiers de leurs roubignolles, tellement fiers qu’ils les porteraient en cravate s’ils le pouvaient, ne supportent pas la vue d’un homme si extraordinairement féminin. Un homme qui n’a pas besoin de muse étant lui-même la plus belle des muses. Ils ont sans doute tellement peur que leur virilité factice ne soit révélée au grand jour, que sa seule vue les panique. Lui qui est plus homme qu’ils ne seront jamais. Parce qu’un homme se définit par sa droiture, par ses principes, par son courage, sûrement pas par son apparence ou sa sexualité.





Pardon Alexandre d’écrire ces lignes sans te consulter. Peut-être ne veux-tu pas qu’on parle de ces blessures que je devine de loin. Ces blessures que tu transformes, quand tu danses, en mouvements sublimes, en symphonies corporelles, en parfaite harmonie avec l’univers. Nous nous sommes finalement peu croisés et je ne suis jamais venu à tes spectacles. C’est mon côté flemmard, et je ne m’en excuse pas. Nous sommes très différents, c’est vrai, et nous ne sommes pas toujours d’accord. Mais c’est ça qui est beau dans une démocratie. C’est ça qui est indispensable. Pouvoir être différents et ne pas être d’accord sur tout, tout le temps.

Bref, je profite aujourd’hui d’un creux dans l’actualité palpitante et imprévisible de ce pays que nous aimons tant tous les deux pour te dire, simplement, merci d’exister.


© Claude El Khal, 2017